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Juillet 2006
Dialectique et rhétorique,
Lumières et anti-Lumières
En ce mois de
juillet 2006, sous la plume de Percy Kemp, un article de
« Libération » intitulé « L’inversion des discours » ne laisse pas d’interroger si on le met en résonance avec l’actualité
culturelle de cette année. (voir sur ce site « redécouvrir » avril
2005 : les Lumières).
L’auteur de l’article fait apparaître, à propos des
affrontements Israël-Hezbollah et à partir des propos télévisés des
protagonistes, un paradoxal chassé croisé : la dialectique, c’est à dire
l’art de raisonner méthodiquement avec justesse (disons, établir le vrai)
serait l’apanage du représentant du Hezbollah, que l’on ne créditerait pas
spontanément d’une franche admiration
des Lumières ; et la rhétorique, art qui donne les règles du bien dire qu’illustre
si bien la langue de bois ou des fleurs, (disons, promouvoir le bien), celui du premier ministre israélien, classé
occidental. Mieux : l’inversion concernerait « l’Occident dans sa
totalité. » Et de citer la politique de Bush au Moyen Orient, tout en
précisant, que, selon Socrate, la rhétorique « ne peut être efficace qu’à
condition que le public soit ignorant des faits. » On peut supposer dès
lors que l’exigence de vérité, qui caractérisait les Lumières rationalistes
et empiristes, n’occuperait plus la première place.
Voilà que devient inquiétante non seulement cette inversion
« rhétorique » / « dialectique », avec l’idée de déclin
qu’elle véhicule ; mais aussi la confusion qui transparaît entre
« public » et « citoyen », et l’idée qu’un seul , fut-il
dirigeant, et rhétorique aidant, peut tromper à sa convenance, ou à celle de
ses amis, un public ignorant. C’est alors la démocratie qui serait malade.
Reste à savoir si public et citoyens sont réellement
dupes ; reste à savoir si les Lumières sont éteintes.
En cette année 2006, elles apparaissent non seulement
vivaces mais revendiquées pour notre
futur.
Trois siècles après Bayle, qui écrivait en 1697 :
« Le prochain siècle sera de jour en jour plus éclairé : en
comparaison tous les siècles précédents ne seront que ténèbres », la BNF
affiche clairement un enthousiasme au
moins égal pour cette pensée qui triompha dans ce siècle- là, le XVIIIè, en
intitulant : « Lumières ! Un
héritage pour demain »,
l’exposition qui s’est tenue de
mars à juin . Ses concepteurs affirment ainsi, après examen raisonné, que la philosophie des Lumières, dans son versant
humaniste modéré du XVIIIe siècle garde
sa pertinence (voir expo virtuelle).
Tzvétan Todorov,
historien et philosophe, a été le
commissaire de cette exposition à la BNF. Dans un petit essai d’une centaine de
pages, « L’esprit des Lumières », il brosse les grandes lignes de ce
courant de pensée, ses évolutions mais aussi ses dévoiements, réels ou
possibles, pour lesquels ses mises au point sont spécialement bienvenues en ces
temps de repentance à tout crin.
Todorov explore les trois idées de base portées par le
projet des Lumières : l’autonomie, la finalité humaine de nos actes, et
l’universalité.
Il rappelle - mais qui l’oublierait ? - que de la
Renaissance aux Lumières, entre pouvoirs temporel et spirituel s’est glissé l’individu
qui examine, critique, ose penser par lui-même, construit son autonomie tout en
se souciant de l’intérêt général. Cet individu va désormais se garder de l’un
comme de l’autre pouvoir ainsi que des avatars et croisements de ces deux
pouvoirs, toujours avides à ses dépens de plénitude de puissance. Il eut fort à
faire et son combat n’est pas achevé aujourd’hui encore . Il est toujours,
et la société avec lui, et ses dirigeants quels qu’ils soient, « en
voie d’éclairement », pour reprendre la formulation de Kant à qui l’on demandait si l'époque
était éclairée. Aujourd’hui, pas davantage qu’hier, l’infaillibilité n’est
acquise pour quiconque. Condorcet n’écrivait-il pas : « Ce qui, à
chaque époque, marque le véritable terme des lumières, ce n’est pas la raison
particulière de tel homme de génie, mais la raison commune des hommes
éclairés. »
Dès les prémices de la pensée des Lumières, les
anti-Lumières se sont aussitôt manifestés* et ils n’ont jamais cessé depuis.
Ils triomphent maintenant aux Etats Unis mais pas seulement. Il serait naïf de
ne pas penser qu’au renouveau d’intérêt pour les Lumières ne corresponde un
mouvement sinon un renouveau inverse.
Les dirigeants, élus,
peuvent pour un temps s’adonner à la rhétorique jusqu’à laisser croire
que les passions commandent à tous et partout en Occident, voire même chez
nous, atteindre des sommets en bafouant effrontément la loi en prétextant
l’égalité devant la loi ….concordataire ! (proposition de loi N°3216), il n’est pas irréaliste de supposer que notre individu et ses égaux,
toujours mieux avertis, toujours mieux éclairés, puissent s’en donner
d’autres.
* Zeev Sternhell : Les anti-Lumières Editions Fayard –
mai 2006
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