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Avril 2005
Lumières
Si à l’examen de
l’actualité, les libres penseurs ont souvent des
motifs d’indignation ils arrive aussi qu’ils aient motif
à satisfaction, notamment au travers d’une exposition et
de plusieurs ouvrages qui font naître des suppositions :
assisterait-on aux prémices d’une refondation des
Lumières, d’où proviennent en partie les sources de
la libre pensée? Se pourrait-il que le balancier reparte dans
l’autre sens après les déferlements mondiaux de
fanatismes, de marchandisation débridée et
d’excès liberticides?
La Bibliothèque nationale de France , propose du 1er mars au 28
mai, une exposition intitulée « Lumières ! un
héritage pour demain ». D’entrée ce projet
s’affirme né du 11 septembre, de triste mémoire .
Mais chacun, déjà, depuis quelques années, et plus
encore récemment, a pu constater la remise en cause de la
« Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen » dont l’universalité a été
perçue comme un impérialisme occidental, colonisateur ,
néfaste. Sur ce prétexte, comme en boomerang,
c’est, au final, la disqualification de ce que l’on appelle
communément « les Lumières », dont
s’est inspirée la Déclaration, n’en
déplaise aux religieux qui la décèlent
opportunément dans leurs textes sacrés. Dans la
foulée, la Révolution française et la
République, par leur filiation avec ces mêmes «
Lumières » se voyaient vilipendées.
Une redécouverte s’impose.
Cette exposition se veut un manifeste. Elle rappelle le
rôle fondamental des Lumières dans la modernité qui
est la nôtre . Elle souligne leur apparition partout en Europe.
Elle propose à la réflexion le contexte foisonnant de ce
XVIIIè siècle, les axes majeurs , les principes et les
idéaux de la démocratie émergente, le combat de la
raison et de l’expérience détrônant la magie
et la toute puissance de la révélation transcendante.
Ce combat, aujourd’hui, est toujours pertinent car les
dévoiements et les perversions accompagnent les principes et les
idéaux. La voie de l’autonomie, de l’humanisme et de
l’universalité est toujours aussi ardue. La sagesse
voudrait que l’humanité se considère à tout
moment dans « une époque en voie
d’éclairement » pour reprendre la réponse de
Kant à qui l’on demandait si l’époque
était vraiment éclairée.
Plus ancien, moins visible, et pourtant lauréat de prix
prestigieux, l’ouvrage de Jonathan I.Israël,
professeur d’histoire moderne à Princeton : « Les
lumières radicales La philosophe, Spinoza et la naissance de la
modernité (1650 – 1750) » initialement
publié en anglais en 2001, traduction parue en 2005, aux
éditions Amsterdam.
Si, comme l’exposition de la BNF, l’auteur trace le
cadre européen de ce mouvement intellectuel des Lumières,
il en élargit notablement la période et en propose une
lecture nouvelle.
Il considère d’un tenant les âges d’or
du rationalisme classique, au XVIIe, (Descartes, Locke, Leibniz,
Spinoza) et du Siècle des Lumières, le XVIIIe (Voltaire,
Diderot, Rousseau) . Il met en relief l’impulsion donnée
par l’œuvre de Spinoza, tel un électrochoc, et
nomme « lumières radicales » les œuvres
apparentées , les Lumières du XVIIIe étant des
Lumières modérées, ayant nécessairement
dû composer face à de promptes et
répétées censures et répressions des
pouvoirs . Ces Lumières classiques s’arriment aux
précédentes, plus subversives, et les prolongent, sans
les faire disparaître . Diderot, Helvétius,
d’Holbach formaient un courant radical et démocratique.
L’auteur souligne le rôle de la Hollande, terre
d’accueil des huguenots et de tous ceux qui,
s’affranchissant de la tradition et de la religion, les
Descartes, Bayle, d’Argens, la Mettrie … risquaient la
prison et la destruction de leurs ouvrages.
Il relate le foisonnement de la vie intellectuelle,
l’âpreté des disputes et controverses
philosophiques, mettant un terme à
l’hégémonie de la théologie. Il met
l’accent sur l’essor des outils de diffusion de la
pensée : périodiques, dictionnaires,
encyclopédies, rédigés en français, en
latin, en anglais ou en allemand, constitutifs de l’ embryon
d’une culture européenne.
On pourrait croire le mouvement philosophique et littéraire des
Lumières l’œuvre des seuls philosophes et de
cénacles d’érudits.
« Les Lumières au quotidien franc-maçonnerie
et politique au siècle des lumières » :un livre de
Margaret C.Jacob, professeur d’histoire à
l’université de Californie, édité en 1991
mais paru en 2004, dans sa traduction française, aux
éditions A l’Orient, offre une autre approche .
Le développement de la franc-maçonnerie et de ses loges
est contemporain de celui des Lumières. Selon les documents
consultés, celles- là n’ignoraient pas
celles-ci. L’originalité consiste dans la composition
sociale diversifiée des loges, bien que se distinguant du
commun, et dans la nouvelle forme de sociabilité qu’elles
observaient. Votes, cotisations, discours, respect d’un ordre
constitutionnel transformaient avant l’heure les individus, de
sujets en citoyens… ce qui inquiétait fortement les
pouvoirs monarchiques d’où la suspicion et les
persécutions . Les loges n‘en demeureront pas moins des
écoles de comportement et de gouvernement, des lieux où
se débattaient et se vivaient aussi les principes fondamentaux
des Lumières.
Les femmes n’y étaient pas admises et on peut se demander
si la vogue des salons où elles « régnaient »
ne faisait pas en quelque sorte le contre poids aux loges ?
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