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> Laïcité : la LP nationale
intervient.
La
Fédération nationale de la Libre Pensée a demandé à
être auditionnée par la Mission parlementaire sur la
présence des signes religieux à l'Ecole présidée par
Jean-Louis Debré.Celle-ci nous a indiqué que son calendrier
chargé empêchait de nous recevoir, mais elle a souhaité
connaître notre point de vue afin de le joindre au rapport
parlementaire.
Paris le 19 Octobre 2003
Monsieur Jean-Louis Debré
Président
de l’Assemblée Nationale
Président de la mission
parlementaire sur les signes religieux à l’Ecole
Assemblée
nationale
126 rue de l’Université
75355 Paris
cedex 07 SP
Monsieur le Président,
Tout d’abord, permettez-nous
de vous remercier de la célérité avec laquelle votre
secrétariat a répondu à la demande d’audition de la
Fédération nationale de la Libre Pensée auprès de votre
commission parlementaire sur la présence des signes
religieux à l’Ecole.
Vous nous indiquez que le calendrier
extrêmement serré de votre mission d’information ne
nous permet pas d’être auditionné. Vous nous permettrez
de le regretter. Il nous aurait semblé utile que la
plus vieille association laïque de ce pays soit interrogée
sur la question de la laïcité, dont nos aïeux ont été
les législateurs, tant dans le domaine scolaire que
celui de l’Etat.
Sur ce sujet, vous pourrez
consulter utilement notre audition par la Commission
Stasi dans le texte que nous vous avons fait parvenir
et dont vous nous avez accusé réception.
Vous secrétariat souhaite que
nous répondions aux questions suivantes : « Quelle est
la position de votre Fédération sur une éventuelle interdiction
légale du port visible de tout signe d’appartenance
religieuse dans les établissements scolaires. Comment
une telle interdiction devrait-elle s’interpréter concrètement
et faudrait-il l’étendre aux établissements privés sous
contrats ? »
Ecole publique, écoles
privées
Tout d’abord, nous voudrions
bien expliquer que pour la Libre Pensée il existe d’un
côté, l’Ecole publique laïque et républicaine, l’Ecole
de tous ; et de l’autre, des écoles communautaristes
de type religieux et/ou financiers, essentiellement
catholiques, les écoles de quelques-uns.
Nous n’avons, pour notre part,
jamais souscrit à l’idée que l’enseignement privé pouvait
« concourir à la mission d’instruction publique de la
Nation. » L’enseignement privé n’est pas complémentaire
à l’enseignement public, il est son concurrent
et pille les fonds publics destinés à l’Ecole laïque.
Il vit comme une véritable sangsue sur l’Ecole laïque.
Chaque année, c’est l’équivalent du budget de 200 000
postes qui sont prélevés sur le budget de l’Etat
au détriment de l’enseignement public au profit du remboursement
« des salaires versés aux maîtres du privé ».
Cet enseignement est régit
sur le modèle du « caractère propre », particulier,
communautariste et différentialiste contre le caractère
universaliste et intégrationniste de l’Ecole républicaine.
Pour la Libre Pensée, l’Ecole publique unit les enfants
de la Nation et l’enseignement privé les divise.
Aussi, vous comprendrez aisément
que notre volonté de faire respecter la laïcité au sein
des écoles publiques ne concerne nullement les écoles
privées, quelles soient sous contrat d’association ou
non. Ceci ne nous intéresse nullement. Il appartient
à ceux qui les utilisent de dire, dans le circuit privé,
ce qu’ils pensent de ces sociétés commerciales et religieuses
et de leur mode de fonctionnement.
Qu’est-ce que la laïcité
?
A la question de la présence
des signes religieux, nous voudrions rappeler ici quelques
faits incontournables, car les faits sont les faits.
Le socle des lois laïques de
1881, 1882, 1886 et 1905 a établi un certain nombre
de principes législatifs et réglementaires. Les locaux
scolaires, les programmes et les enseignants doivent
se conformer au principe de neutralité en matière métaphysique,
religieuse et politique. L’Ecole publique et, ensuite,
par la loi de 1905, tous les services publics doivent
échapper au prosélytisme de quelque nature qu’il soit.
Bon gré, mal gré, ce dispositif
a permis que des millions d’élèves, au cours de ce siècle
écoulé, se consacrent à l’essentiel : l’acquisition
des connaissances et l’obtention de diplômes ouvrant
droit à des qualifications reconnues dans le monde du
travail.
Le problème de la présence
d’emblèmes religieux dans l’Ecole publique ne
s’est posé que depuis la loi d’orientation de juillet
1989, dite loi Jospin. Dès octobre 1989, et pas avant,
des symboles religieux sont apparus au sein de l’Ecole
publique. Uniquement parce que l’article 10 de cette
loi traite en effet du « droit d’expression des élèves
» ce qui a été le moteur de l’offensive sur les emblèmes
religieux. Cet article stipule : « Dans les collèges
et les lycées, les élèves disposent, dans le respect
du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté
d’information et de la liberté d’expression. »
L’avis du Conseil d’Etat du
27 novembre 1989 précise que cette liberté d’expression
des élèves comporte le droit d’exprimer leur appartenance
à une religion. Dans l’affaire du port du foulard islamique,
la question n’est pas celle de la prétendue liberté
personnelle et religieuse de l’élève, mais bien plus
de son statut et de la liberté pédagogique de l’enseignant.
Dans ce cas, il ne s’agit plus d’un statut juridique
d’élève mais celui d’un adepte ou d’un disciple. De
plus la loi de 1989 oblige les établissements publics
à élaborer « un projet propre », ce qui leur confère
le statut d’établissements scolaires privés. Or un enseignant
ne s’adresse pas aux adeptes d’une religion, mais à
des élèves pour leur transmettre exclusivement des connaissances.
C’est donc bien la loi Jospin
qui a été le facteur déclenchant de la question des
emblèmes religieux au sein de l’Ecole publique.
Tous les emblèmes religieux
sont ostentatoires
La Fédération nationale de
la Libre Pensée tient à indiquer clairement qu’elle
ne s’inscrira nullement dans un débat frauduleux sur
le caractère ostentatoire des signes religieux. Pour
nous, en effet, tout signe d’affirmation et d’appartenance
religieuse est ostentatoire par nature. Ce n’est, ni
une question de volume, ni de surface.
Discutera-t-on de la taille
d’une croix gammée portée par des élèves pour faire
une exégèse jésuitique sur le fait qu’elle est la marque
discrète d’une opinion, certes contestable, ou bien
dira-t-on qu’il s’agit de propagande nazie prohibée
par la loi ? Chacun conviendra aisément que la taille
de l’objet n’a que peu d’importance en la matière.
On l’aura compris aisément,
pour la Libre Pensée, la source du problème des emblèmes
religieux au sein de l’Ecole publique, que nous refusons
de limiter à la seule question du foulard islamique
mais que nous étendons à tous les emblèmes religieux
(croix, kippas, foulards, totems et autres gris-gris),
réside uniquement dans l’article 10 de la loi d’orientation
de juillet 1989. Si la loi Jospin fait partie du problème,
elle ne saurait faire partie de la solution laïque.
C’est pourquoi, la Libre Pensée
demande l’abrogation de la loi Jospin, de son article
10 en tout cas. Si c’est par le biais d’une nouvelle
loi d’orientation, pourquoi pas, si elle favorable à
l’enseignement public et à la laïcité.
L’actualité nous renforce
dans notre volonté laïque
Les affaires récentes de présence
d’emblèmes religieux, qui ont défrayé la chronique médiatique,
montrent à l’évidence la perversité de la loi Jospin
de juillet 1989. Celle-ci maintient le caractère
de neutralité des enseignants, des locaux et des programmes
mais permet aux élèves d’y déroger. Son article 10 autorise
les élèves à faire du prosélytisme religieux ouvert
mais la législation interdit aux enseignants d’y répondre
!
Cet article 10 de la loi Jospin
suspend juridiquement la circulaire de Jean Zay de 1937
qui interdisait toute présence d’emblèmes religieux
et politiques au sein de l’Ecole publique.
L’avis du Conseil
d’Etat sur cette question, loin d’être un facteur
d’interprétation de la loi républicaine comme
facteur d’égalité, autorise chaque
établissement scolaire public à avoir une
législation particulariste. C’est ainsi, qu’au
détriment du principe d’égalité devant la
loi républicaine, chaque établissement « bricole
» sa propre juridiction, baptisée au gré des
circonstances de « tolérante » ou «
d’exclusive ». L’administration n’est plus
« protectrice » de ses agents, elle devient un facteur
discriminatoire voire de répression vis-à-vis des
personnels ou des élèves.
Pour notre part, la publication
du rapport de Régis Debray nous laisse un peu perplexes.
Commandité par un ministre de gauche, mis en œuvre par
un gouvernement de droite au moment où celui-ci met
en place une commission pour faire des propositions
sur la laïcité ; ceci nous interroge quelque peu. On
veut dans le même temps enseigner le religieux dans
l’Ecole publique et interdire les signes religieux ?
On voit mal comment on va à la fois discuter du religieux
et, bien sûr, dire tout le bien que certains en pensent
et interdire les croix, les kippas et les foulards
Pour terminer, nous sommes
contre une nouvelle loi sur la laïcité. Ce ne sont pas
les lois qui manquent en ce sens, c’est plutôt la volonté
politique de les appliquer et de tourner la page antilaïque
que représente la loi Jospin.
Joachim Salamero
Président
de la Libre Pensée
Christian Eyschen
Secrétaire
général de la Libre Pensée
Le
vendredi 3 octobre 2003, la commission chargée par le
Président de la République de faire des propositions
concernant la laïcité dans la République a auditionné
la Fédération nationale de la Libre Pensée. Voici l’intervention
que la Libre Pensée a fait à cette occasion.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
La Fédération nationale de la Libre Pensée tient
vous remercier de solliciter son point de vue sur cette
importance question de la laïcité dans la République
française.
Afin de bien poser la problématique qui est la notre,
il convient au préalable de situer notre association,
la Libre Pensée. Nous sommes la plus ancienne association
laïque de ce pays. Les cercles de la Libre Pensée existent
dans ce pays depuis 1848. Notre fédération nationale
fut fondée à la veille de la Commune de Paris de 1871.
Nous fûmes l’expression d’une volonté républicaine,
l’instrument d’une revendication politique : la séparation
des Eglises et de l’Ecole publique. Et puis après
son avènement, l’exigence d’une liberté démocratique
fondamentale : la séparation des Eglises et de l’Etat.
Nous ne sommes pas des inconnus pour la République.
Nos aînés figurent sur les frontispices de la lutte
démocratique pour le triomphe de l’absolue liberté de
conscience. Ils ont pour noms, entre autre : François
Raspail, Giuseppe Garibaldi, Emile Littré, Victor
Hugo, Anatole France, Jules Ferry, René Goblet,
Ferdinand Buisson, Aristide Briand, Edouard Herriot,
Jean Rostand.
C’est dans cette tradition que nous inscrirons notre
propos. Ce sont les nôtres qui ont pensé, élaboré, écrit
et fait adopter les grandes lois laïques. Nous savons
de quoi nous parlons. Et c’est à ce titre que nous sommes
ici aujourd’hui.
Nous voudrions tout d’abord commencer par un constat,
puis faire des propositions à votre commission.
1°)- La Libre Pensée constate
:
A)- La laïcité républicaine est aujourd’hui menacée
par le projet de constitution européenne, non seulement
par la revendication catholique de reconnaissance du
christianisme comme valeur commune des peuples
en Europe, mais surtout par son projet d’article 51
qui entérinerait les concordats, les religions d’Etat,
les délits de blasphème et les impôts d’Eglise et qui
ferait des religions les interlocuteurs institutionnels
de l’Union européenne.
Cet article 51 du projet de constitution reprend
en l’aggravant la déclaration n° 11 d’Amsterdam de 1997.
Il prévoit en effet les dispositions suivantes
:
* « l’Union européenne respecte et ne préjuge pas
du statut dont bénéficient en vertu du droit national
les Eglises et les associations ou communautés religieuses
dans les Etats membres… »
* « en reconnaissance de leur identité et leur contribution
spécifique, l’Union maintient un dialogue ouvert, transparent
et régulier, avec ces Eglises et organisations. »
Ce projet de nature totalement cléricale maintient
les privilèges des religions et des Eglises, notamment
en matière de financement. C’est l’officialisation des
religions dans les institutions comme partenaires dans
l’Union européenne.
La Constitution européenne a pour fonction d’être,
par définition, supérieure aux législations nationales.
En introduisant ses principes constitutionnels européens
contraires à la séparation des Eglises et des
Etats, elle remet en cause la loi du 9 décembre 1905.
C'est-à-dire le principe de laïcité inscrit dans
le « bloc constitutionnel » de la République française.
Par ailleurs, la jurisprudence constante de la Cour
européenne de justice ne considère pas contraire à l’article
9 de la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l’Homme, les concordats, les délits de blasphème
et les impôts d’Eglise ; principes avalisés par le projet
de Constitution européenne.
B)- La réforme constitutionnelle, votée le 17 mars
2003 par le Parlement français, ouvre les voies les
plus dangereuses à toutes les aventures antilaïques.
Elle officialise le principe de subsidiarité, issu de
la doctrine sociale catholique, qui est la négation
des principes de la Révolution française. En voulant
confier les missions de services publics uniquement
à des organismes de « rang inférieur », c’est-à-dire
privés, cette notion réintroduit institutionnellement
les structures religieuses dans les domaines de la santé,
de la solidarité et de l’instruction notamment.
Par l’introduction du « droit d’expérimentation »,
elle va permettre aux collectivités territoriales de
s’émanciper du principe d’égalité des citoyens devant
la loi pour multiplier les extravagances antilaïques
du statut clérical d’exception d’Alsace Moselle. Bien
que l’enseignement religieux soit en chute libre et
qui serait « obligatoire » ( ce qui est plus que discutable
juridiquement) au sein de l’Ecole publique dans
les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et
de Moselle; bien que l’effondrement du nombre de religieux
qui l’enseignent soit incontournable (2 000 en
1990, moins de 1 000 en 2000) ; certains persistent
à nous présenter cette atteinte à la liberté de conscience
comme une exigence sociale, culturelle, religieuse et
politique incontournable.
Le risque est désormais grand que, selon des présupposés
d’appartenance et de notions « historiques » discutables,
la liberté de conscience puisse être désormais à géométrie
variable.
Par ce « droit d’expérimentation », l’introduction
de l’enseignement du « fait religieux », pourra tourner
au prosélytisme pur et simple. Nos craintes sont fondées
sur le fait que, malgré nos délégations au ministère
de l’Education nationale, personne n’est en mesure de
nous indiquer en quoi cet enseignement consistera.
C’est à peine si l’on nous dit, éventuellement, en quoi
il ne consiste pas. Les « formations » déjà réalisées
sur ces objectifs, comme dans l’académie de Clermont-Ferrand,
sont illustratives des dérives déjà initiées.
C)- Nous sommes d’autant plus inquiets par l’ouverture
de la boite de Pandore de la décentralisation qu’existent
aujourd’hui, sur le territoire de la République, en
dehors de la loi de 1905 et du statut clérical d’exception
d’Alsace Moselle, sept autres statuts de type concordataire
dans les TOM, la plupart produits des décrets Mendel
de 1939. Ces décrets font des religions des services
publics du culte et des religieux des « fonctionnaires
» rétribués sur les fonds publics.
La décentralisation programmée ne renforcera pas
le principe de laïcité et d’égalité des citoyens devant
la loi, elle ne pourra au contraire qu’accentuer
leur différenciation. Or, la laïcité, c’est la volonté,
l’art et la possibilité de vivre ensemble au-delà de
ses affinités présupposées et non l’exacerbation des
différences.
Par le « droit d’expérimentation », pour la
première fois depuis notre histoire moderne, c’est la
possibilité offerte aux collectivités
territoriales de constituer des « communautés organiques
» dans la République. La création du Conseil Français
du Culte musulman en tant qu’organe officiel
de dialogue en est une préfiguration fâcheuse et dangereuse.
La République, ne « reconnaissant aucune religion »,
n’a pas à interférer dans l’organisation des cultes.
D)- Les lois antilaïques, notamment à la suite de
la loi Debré de décembre 1959, ont ouvert, à grande
échelle, le financement public des écoles privées à
90% confessionnelles. Celles-ci sont en concurrence
directe avec l’Enseignement public. La somme inscrite
au budget de l’Etat en 2003 est équivalente à 200 000
postes de l’Education nationale, charges sociales
comprises. Et nous ne parlerons pas ici du financement
public des collectivités territoriales dans les budgets
de fonctionnement et d’investissement de cet enseignement
confessionnel. L’opacité des sommes versées n’a d’égale
que leur importance démesurée.
De quel droit, une République et ses structures qui
se proclament laïques peuvent-elles financer ainsi,
à une telle hauteur, un enseignement privé dont l’affirmation
du « caractère propre religieux » bafoue publiquement
le principe de liberté de conscience des élèves qu’il
scolarise ?
La liberté de l’enseignement autorise sous certaines
conditions (respect des règles concernant l’Instruction
publique, la Santé publique, etc …) la création des
écoles privées. Mais, en aucune manière, cette liberté
de l’enseignement ne comporte ni ne prévoit le financement
public des écoles privées. C’est pourquoi, nous avons
toujours défendu le principe « A Ecole publique, fonds
publics ; à écoles privées, fonds privés ».
E)- Nous tenons aussi à indiquer clairement que nous
sommes profondément attachés à la loi de séparation
des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905, qui fut
élaborée au congrès international de la Libre Pensée
à Rome en 1904. Or, depuis l’adoption de cette grande
loi de liberté, nombreuses furent les remises en cause,
notamment par le Régime honni du Maréchal Pétain pendant
les heures noires de la Collaboration. A cette époque,
les principales dispositions de séparation furent abrogées.
Et depuis la Libération, aucun gouvernement n’a restauré
les dispositions républicaines supprimées par Vichy.
F)- Votre commission a aussi pour objet de
se pencher sur la question de la présence des emblèmes
religieux au sein de l’espace public et, en premier
lieu, dans l’Ecole publique. Nous voudrions rappeler
ici quelques faits incontournables, car les faits sont
les faits.
Le socle des lois laïques de 1881, 1882, 1886 et
1905 a établi un certain nombre de principes législatifs
et réglementaires. Les locaux scolaires, les programmes
et les enseignants doivent se conformer au principe
de neutralité en matière métaphysique, religieuse et
politique. L’Ecole publique et, ensuite, par la loi
de 1905, tous les services publics doivent échapper
au prosélytisme de quelque nature qu’il soit..
Bon gré, mal gré, ce dispositif a permis que des
millions d’élèves, au cours de ce siècle écoulé, se
consacrent à l’essentiel : l’acquisition des connaissances
et l’obtention de diplômes ouvrant droit à des qualifications
reconnues dans le monde du travail.
La présence d’emblèmes religieux dans
l’Ecole publique ne s’est posée que depuis la loi d’orientation
de juillet 1989, dite loi Jospin. Dès octobre 1989,
et pas avant, des symboles religieux sont apparus au
sein de l’Ecole publique. Uniquement parce que l’article
10 de cette loi traite en effet du « droit d’expression
des élèves » ce qui a été le moteur de l’offensive sur
les emblèmes religieux. Cet article stipule : « Dans
les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans
le respect du pluralisme et du principe de neutralité,
de la liberté d’information et de la liberté d’expression.
»
L’avis du Conseil d’Etat du 27 novembre 1989 précise
que cette liberté d’expression des élèves comporte le
droit d’exprimer leur appartenance à une religion. Dans
l’affaire du port du foulard islamique, la question
n’est pas celle de la prétendue liberté personnelle
et religieuse de l’élève, mais bien plus de son
statut et de la liberté pédagogique de l’enseignant.
Dans ce cas, il ne s’agit plus d’un statut juridique
d’élève mais celui d’un adepte ou d’un disciple. De
plus la loi de 1989 oblige les établissements publics
à élaborer « un projet propre », ce qui leur confère
le statut d’établissements scolaires privés. Or un enseignant
ne s’adresse pas aux adeptes d’une religion, mais à
des élèves pour leur transmettre exclusivement des connaissances.
C’est donc bien la loi Jospin qui a été le facteur
déclenchant de la question des emblèmes religieux au
sein de l’Ecole publique.
La Fédération nationale de la Libre Pensée tient
à indiquer clairement qu’elle ne s’inscrira nullement
dans un débat frauduleux sur le caractère ostentatoire
des signes religieux. Pour nous, en effet, tout signe
d’affirmation et d’appartenance religieuse est ostentatoire
par nature. Ce n’est, ni une question de volume, ni
de surface.
Discutera-t-on de la taille d’une croix gammée portée
par des élèves pour faire une exégèse jésuitique sur
le fait qu’elle est la marque discrète d’une opinion,
certes contestable, ou bien qu’il s’agit de propagande
nazie prohibée par la loi ? Chacun conviendra aisément
que la taille de l’objet n’a que peu d’importance en
la matière.
2°)- La Libre Pensée
propose :
Eu égard à cette analyse nullement exhaustive, nous
voudrions faire les propositions suivantes à votre commission
afin qu’elles trouvent un débouché législatif et réglementaire.
A)- Nous demandons au gouvernement français et à
la représentation parlementaire française dans les institutions
de l’Union européenne d’intervenir au sein de la prochaine
Conférence Intergouvernementale (CIG) pour s’opposer
à l’adoption de toute référence religieuse dans le préambule
de la future Constitution européenne. Nous demandons
aussi que soit refusé en bloc l’article 51 qui est la
négation absolue de la laïcité et du principe de séparation
des Eglises et des Etats.
Nous demandons également
que la représentation française, à tous les niveaux,
demande la suppression de la décision du Parlement européen
qui oblige les Etats membres à subsidier l’enseignement
privé comme « condition du principe de la liberté d’enseignement
».
B)- Au nom du principe de l’égalité des droits des
citoyens devant la loi, nous souhaitons que votre Commission
demande au gouvernement et au Parlement de revenir sur
le droit à l’expérimentation prévue par la réforme constitutionnelle
du 17 mars 2003. La République devant être « une et
indivisible », il ne saurait y avoir une laïcité à géométrie
variable. Aucune exception à la séparation des Eglises
et de l’Etat ne doit être encouragée ni tolérée. Nous
aimerions que vous vous prononciez contre toute généralisation
ou extension de statut clérical particulier comme celui
d’Alsace Moselle, même à titre d’expérimentation.
C)- Nous demandons la fin du statut clérical
d’exception d’Alsace Moselle, que nous ne saurions
confondre avec les lois sociales progressistes acquises dans cette
région. Si le gouvernement et le Parlement entendaient maintenir
cette violation scandaleuse et permanente de la
laïcité, la Libre Pensée demande que
l’enseignement religieux soit facultatif et que l’absence
d’endoctrinement religieux soit la règle absolue. Dans ce
cas, l’option d’un enseignement humaniste athée et
libre penseur doit être présentée à
égalité avec l’enseignement des religions
officielles, au nom du principe d’égalité.
D)- Nous demandons l’abrogation de toutes les lois
antilaïques, notamment dans le domaine scolaire et que
toutes les ressources financières de la République et
de ses collectivités soient utilisées pour le seul profit
de l’Ecole publique, consacrant ainsi l’effort de la
Nation pour assurer l’avenir de ses enfants. L’Ecole
publique a besoin de moyens, ils sont tout trouvés.
Que l’on restitue les fonds détournés de leur mission
d’origine !
E)- Affirmer son attachement à la loi de 1905, nécessite
de la part de la République son intention affirmée publiquement
de restaurer l’intégralité de cette loi qui garantit
la liberté de conscience. Doivent donc être abrogées
toutes les décisions du Régime de Vichy en la matière.
Il ne s’agit donc pas seulement de ne pas remettre en
cause la loi de 1905, mais aussi, et surtout, de la
rétablir dans son intégrité. Il est totalement inadmissible
que L’Eglise catholique soit redevenue une puissance
foncière par l’obtention des biens mis sous séquestre
en 1905 par la loi 5 février 1941 et que les associations
cultuelles aient recouvré la capacité civile et testamentaire
par la loi du 25 décembre 1942. Ceci est constitutif
d’un détournement de fonds publics au profit de la puissance
financière de l’Eglise catholique.
En ce sens, la Libre Pensée demande aussi que la
loi sur le mécénat soit revue afin de retirer « le Denier
du culte catholique » comme association bénéficiant
d’avantages fiscaux dérogatoires. Ce qui est actuellement
un financement public détourné du culte.
Considérant l’article 28 de la loi de séparation
des Eglises et de l’Etat du 9 décembre 1905 qui stipule
l’interdiction d’ériger désormais tout emblème religieux
dans l’espace public et notamment dans les cimetières,
la Libre Pensée se prononce résolument contre toute
création de « carré religieux » dans les cimetières.
Ceux-ci sont d'abord constitutifs de démarcation et
d’affirmation religieuses collectives, alors que seules
les décorations individuelles sont acceptables pour
respecter la volonté du défunt. D’autre part, cela revient,
d’une manière ou d’une autre, à ériger d’une autre façon,
des emblèmes religieux. Si la laïcité est la volonté
de vivre ensemble, comment accepter que la mort délivre
du contrat social commun ?
La Libre Pensée revendique le strict respect de la
loi de 1905 par l’ensemble des fonctionnaires et des
élus de la République qui ne doivent en aucun cas participer
es qualité à des cérémonies religieuses. De la même
manière, nous contestons la mise en place systématique
de « chapelle ardente » en cas d’accident et de catastrophe,
au mépris souvent des convictions des victimes.
Nous proposons aussi la modification du cahier des
charges pour les médias publics télévisuels. Ou bien
sont supprimées les émissions religieuses ou bien les
autres courants philosophiques comme le notre doivent
avoir un égal accès au service public de la télévision.
La loi de 1905 ne prévoit la présence d’aumôneries
dans les services publics que dans les prisons, les
armées, les hôpitaux de long séjour et dans les établissements
scolaires avec internat. Une circulaire de 1987 (dite
Monory) a supprimé cette notion d’internat pour la généraliser
à tous les établissements scolaires publics. La Libre
Pensée demande le retour à la disposition d’origine
qui garantissait la laïcité et l’exercice de la liberté
de conscience.
F)- On l’aura compris aisément, pour la Libre Pensée,
la source du problème des emblèmes religieux au sein
de l’Ecole publique, que nous refusons de résumer à
la seule question du foulard islamique mais que nous
resituons sur la présence de tous les emblèmes religieux
(croix, kippas, foulards, totems et autres gris-gris),
réside uniquement dans l’article 10 de la loi d’orientation
de juillet 1989. Si la loi Jospin fait partie du problème,
elle ne saurait faire partie de la solution laïque.
C’est pourquoi, la Libre Pensée demande l’abrogation
de la loi Jospin, de son article 10 en tout cas. Si
c’est par le biais d’une nouvelle loi d’orientation,
pourquoi pas, si elle favorable à l’enseignement public
et à la laïcité.
Pour notre part, la publication du rapport de Régis
Debray nous laisse un peu perplexes. Commandité par
un ministre de gauche, mis en œuvre par un gouvernement
de droite au moment où celui-ci met en place une commission
pour faire des propositions sur la laïcité ; ceci nous
interroge quelque peu. On veut dans le même temps enseigner
le religieux dans l’Ecole publique et interdire les
signes religieux ? On voit mal comment on va discuter
du religieux et, bien sur, dire tout le bien que certains
en pensent et interdire les croix, kippas et foulards
Pour terminer, par ce que tout le monde attend,
nous sommes contre une nouvelle loi sur la laïcité.
Ce ne sont pas les lois qui manquent en ce sens, c’est
plutôt la volonté politique de les appliquer. Et aussi
celle de tourner la page antilaïque de la loi Jospin.
Tel est le sens de notre audition ici.
Nous vous remercions de nous avoir écoutés.
Joachim Salamero
Président
de la Libre Pensée
Christian Eyschen
Secrétaire
général de la Libre Pensée
>>> Débat
ayant suivi l'audition
Décentralisation et privilèges des Eglises
- Rémy Schwartz (Maître
des requêtes au Conseil d’Etat) : Je voudrais
vous poser trois questions. Sur la décentralisation
: vos craintes sont-elles vraiment justifiées dès lors
que les collectivités territoriales doivent s’inscrire
dans le respect des lois et des principes généraux du
droit ? Sur la critique du Conseil représentatif du
culte musulman et son statut associatif : il existe
aussi une conférence des évêques de France qui est l’interlocuteur
des pouvoirs publics, une fédération protestante, un
consistoire, qui ont un statut associatif comme ce conseil
musulman. Où est le problème ? Vous avez fortement
critiqué le culte catholique au motif qu’il bénéficierait
d’avantages particuliers. Les avantages, notamment fiscaux,
bénéficient à tous les cultes. Pourquoi votre critique
porte-t-elle uniquement sur le culte catholique ?
- Christian Eyschen
(Libre Pensée)
: Concernant la décentralisation, ce qui nous semble très
problématique, c’est la notion de « droit
d’expérimentation ». On a bien vu, lors de la visite
du Pape en 1996, que le nonce apostolique avait réclamé
que la situation d’Alsace Moselle puisse être
généralisée « à des régions
à forte densité spirituelle ». Le droit
d’expérimentation, tel que nous le comprenons dans la loi
de décentralisation, s’applique à tous les domaines
et donc peut s’appliquer aussi à la laïcité et
à la loi de 1905. Une collectivité territoriale peut
décider de les modifier ou de les suspendre de manière
« expérimentale ». C’est notre crainte. Si
vous nous convainquez du contraire, nous en serons ravis.
Sur la question du Conseil du culte musulman, comparativement
aux autres associations de type cultuel comme la Conférence
épiscopale des évêques : si mes connaissances historiques
sont exactes, ce n’est pas le ministre de l’Intérieur
qui a créé la Conférence épiscopale des évêque. Là,
en matière d’Islam, il s’agit directement d’une création
du ministre de l’Intérieur avec sous entendu : « L’Islam
de France ». L’Islam de France, c’est l’ingérence de
l’Etat dans cette religion. Nous ne sommes pas pour
un Islam de France, mais pour accepter l’Islam en France.
Si l’on considère que la République ne reconnaît pas
les cultes, elle n’a pas à les organiser.
Sur la question du culte catholique. Si on le compare
à d’autres religions, nous pensons que l’Islam est fondé
à dire qu’il y a discrimination par rapport à tous les
privilèges que peuvent avoir la religion catholique
sur l’ensemble du territoire et les religions israélite
et protestante notamment en Alsace Moselle. La religion
islamique n’a pas les mêmes avantages. La solution est
donc, soit d’étendre ces privilèges à celle-ci, et après
à toutes les religions qui le demanderont, soit d’en
revenir à la stricte application de la loi de 1905 qui
n’en n’accorde aucun.
Nous avons parlé dans nos propositions de la loi
sur le mécénat : en 1987, a été inscrit dans la liste
des organisations bénéficiant de la défiscalisation,
le denier du culte, qui n’est pas une association caritative.
A notre connaissance, c’est la seule organisation de
ce type qui bénéficie de cet avantage, puisque l’on
pouvait déduire 40% du montant versé au denier du culte
et depuis 1993, on peut en déduire 50%. Il y a
là une véritable discrimination.
Séparation et subsidiarité
- René Rémond (Historien)
: L’historien que je suis a été très intéressé par votre
discours, où l’on y retrouve en effet une longue tradition.
J’ai entendu votre programme qui tend en fait à abroger
un siècle de législation et à effacer un siècle de jurisprudence.
L’historien ne peut pas laisser dire que le principe
de subsidiarité est contraire à la tradition de la Révolution
Française, car il n’y a pas eu expérience plus générale
de décentralisation que la Révolution de 1789, qui émancipe
totalement les collectivités territoriales, considérant
que c’est cela la démocratie.
Vous tendez à réduire le fait religieux, à l’enfermer
dans la sphère individuelle et privée. Je lis la loi
de séparation, je l’accepte dans son intégralité, sans
être un intégriste de la laïcité. Je constate que l’article
1er - Dieu sait si un article 1er est important – «
La République française garantie le libre exercice des
cultes ». Par conséquent, c’est saisir le fait religieux
par sa dimension collective, sociale. Il n’est pas vrai
de dire que la loi ignore le fait religieux. Non seulement,
elle ne l’ignore pas, mais elle prend l’engagement de
le garantir. Par conséquent, cela lui crée des responsabilités.
La plupart des dispositions que vous incriminez et que
vous demandez d’abroger, ne font que traduire de façon
concrète cette affirmation, cet engagement pris par
la République en 1905 : le libre exercice des cultes.
Je m’étonne un peu de la lecture que vous en faites,
qui est une lecture restreinte, fondamentaliste, intégriste.
Par ailleurs, votre assimilation des emblèmes religieux
à la croix gammée est une insulte pour tous les croyants.
- Joachim Salamero (Libre
Pensée) : Le principe de subsidiarité est
le fondement de toute la doctrine sociale de l’Eglise
catholique, à partir du principe selon lequel « Toute
autorité provient de Dieu... ». Selon nous, le principe
de subsidiarité consiste à laisser un certain nombre
de libertés aux autres pour qu’ils organisent, qu’ils
gèrent ce que vous avez décidé qu’il faut faire. Mais
il n’y a pas de participation à la décision ou à l’objectif
à atteindre. C’est tout le contraire de la démocratie.
Le principe de subsidiarité, selon notre interprétation
et ce que nous en avons lu dans les encycliques en particulier,
qui le définissent précisément, c’est un principe descendant
: l’autorité supérieure décide ce qu’il faut faire et
à partir de là, elle octroie quelques libertés de gestion,
sans plus, à des organismes dits de rang inférieur,
comme indiqué dans cette encyclique que vous connaissez
très bien « Quadragesimo anno », qui sont chargés d’appliquer
ce que l’autorité supérieure (« le principal ») a décidé.
Je me permets de rajouter quelque chose par rapport
à votre réponse sur notre allusion à la croix gammée.
Je ne suis pas historien, mais j’ai lu les encycliques
et tous particulièrement celle de 1931 « Quadragesimo
anno », dans laquelle est parfaitement explicité le
principe de subsidiarité. C’est dans cette même encyclique,
justement parce qu’il y a le principe de subsidiarité,
qu’est fait l’apologie des syndicats fascistes et corporatistes
de Mussolini. Pour notre part, nous sommes prêts
à en discuter publiquement avec vous, à votre convenance,
où vous le désirez.
- Christian Eyschen
(LP) : « Un siècle de jurisprudence d’application
de la loi de séparation» : je trouve que c’est assez
discutable, puisque les premières lois qui remettent
en cause la loi de 1905, sont promulguées sous le régime
de Vichy. Lorsque avec les lois de 1941 et 1942, on
rend à l’Eglise les biens mis sous séquestre par la
loi de 1905 et que l’on réintroduit la capacité civile
et testamentaire des associations cultuelles, ce n’est
pas l’application de la séparation des Eglises et de
l’Etat, c’est sa négation. La loi Debré, comme
loi initiale antilaïque et toutes celles qui en
ont découlé, ne sont pas l’application de la loi de
1905.
Liberté de l’enseignement et financement public
- Ghislaine Hudson (Proviseur
d’un lycée public) : Vous avez fait un plaidoyer
en faveur de l’attribution de fonds privés à l’école
privée et de fonds publics à l’Ecole publique : j’y
suis sensible. J’ai aussi travaillé plusieurs
années dans un lycée à l’étranger, de statut privé,
et je sais que les fonds viennent avec une certaine
forme de contrôle. Ne craignez-vous pas que la prolifération
d’écoles privées confessionnelles, quelles que soient
les confessions, qui seraient hors contrôle de l’Etat
dans leurs programmes, leurs méthodes, ne propagent
des principes non républicains et non laïques ?
Une remarque : croix gammée, expressions religieuses
(médaille, main de Fatima, etc.). Je suis profondément
laïque, je me vois tout à fait aller vers un élève qui
a une petite croix gammée, mais je ne me vois pas aller
faire une remarque à un élève qui a une petite médaille
ou autre. Pensez-vous vraiment que cela soit possible
?
- Christian Eyschen (LP)
: Sur l’école privée, cela pose le problème de
la liberté de l’enseignement. Même sans aucun apport
financier, les lois de 1882 et 1886 permettaient un
contrôle de l’enseignement dans l’école privée. Le fait
générateur du contrôle de l’enseignement et des connaissances
n’est pas le produit du financement. Par exemple : l’instruction
est obligatoire, pas l’école. Pour des parents qui décident
d’instruire eux-mêmes leur enfant, il y a des contrôles
qui sont mis en place alors que l’Etat ne finance pas
pour autant la famille.
Quand les lois scolaires de Jules Ferry se sont véritablement
appliquées, on peut estimer qu’environ 5% de la population
ont refusé l’Ecole publique et, pour des raisons de
motivation et conviction, ont choisi l’enseignement
privé ou individuel. Si ce pourcentage augmente considérablement
depuis quelques temps, c’est plus le produit des carences
de l’Ecole publique, des difficultés dans laquelle on
la met et des moyens qu’on lui retire, que le choix
d’une conviction religieuse. On voit même d’ailleurs,
dans des exemples cités par la presse, que des parents
musulmans mettent leurs enfants dans des écoles catholiques.
Ce n’est donc pas par conviction, mais parce qu’ils
considèrent, à tort ou à raison, que c’est la seule
solution.
Sur le deuxième aspect, j’ai tout à fait conscience
du parallèle, qui peut choquer certains, entre la croix
gammée et un emblème religieux. Ce que nous voulions
dire et faire, c’est attirer votre attention sur une
démonstration à savoir que lorsqu’il y a emblème religieux,
le problème n’est pas sa taille. Tout signe religieux
est ostentatoire par nature, de notre point de vue.
- Joachim Salamero (LP)
: A propos des signes religieux. J’ai lu il y a quelques
semaines, une formule qui m’a beaucoup plu : « La croix
sous la chemise, la kippa à la poche et le foulard au
crochet », avant de rentrer en classe. Voilà une formule
qui pourrait résumer notre position en la matière. Sur
la question des signes religieux ostentatoires ou pas,
une déclaration, à la rédaction de laquelle nous avons
largement participé, sera rendue publique aujourd’hui
et signée par plusieurs organisations. Elle s’intitulera
: « Ni croix, ni kippa, ni foulard à l’Ecole ».
Majorité et minorité
- Alain Touraine (Sociologue)
: Il y a un certain nombre de points que vous avez soulevés
que l’on peut appeler des avantages, ou des privilèges,
donnés à l’Eglise catholique ou à l’ensemble des Eglises.
La question que je voudrais vous poser est naïve, si
je puis dire. Lorsque je vous écoute, vouloir abolir
les lois sur l’enseignement, je me dis que l’on revient
ouvertement, et dans des conditions très défavorables,
à une guerre scolaire où simplement l’école catholique
et l’école musulmane risquent à très court terme d’être
majoritaires.
Vous nous dites que de même à la télévision, vous
voulez qu’il y ait une émission sur la Libre Pensée
en même temps que les émissions religieuses : vous courrez
des risques considérables de défendre des positions
qui apparemment sont très minoritaires. Y-a t-il beaucoup
de français qui veulent rouvrir la guerre scolaire ?
Historiquement, dans la deuxième partie du
XIXème siècle, Jules Ferry et d’autres avaient
d’assez bonnes raisons pour dire que la grande affaire
était d’enlever à l’Eglise catholique le
monopole de la formation des élites (au sens de position
supérieure). C’était très agressif et assez
justifié. Je pense que, dans l’ensemble, personne
n’a envie de revenir là-dessus, et que l’Ecole de la
République, jusqu’à la loi de 1905, a
été l’élimination de cette
prédominance à la fois de l’Eglise et surtout de
certains milieux sociaux.
Aujourd’hui, nous avons en général le sentiment que
l’école libre est rarement de nature religieuse (elle
comporte des contraintes religieuses) et si elle se
développe, je ne crois pas que ce soit pour ces raisons
là. Je me demande si le souci actuel de beaucoup de
famille pour une école privée, ne vient pas justement
du fait que dans cette école, on essaie de prendre en
considération les caractéristiques individuelles de
caractère, d’origine etc..
L’évolution de notre société a fait que nous voulons
être reconnus, non pas seulement comme des citoyens,
mais nous voulons aussi avoir des droits particuliers,
des droits syndicaux, des droits du travail, mais aussi
des droits culturels. Qu’est–ce que cet espace
républicain dans lequel les individus ne sont plus représentés
par rien qui forme leur personnalité ?
Vous avez dit « le rôle de l’enseignement est de
transmettre des connaissances ». Je suis en désaccord
complet. Qui éduque les enfants ? Qui les forme à des
valeurs, à des orientations, les aide à se réaliser
? L’Ecole publique l’a fait fort bien, et nous en sommes
assez contents. Je trouve que vous avez une définition
telle de l’espace public que tout va devenir espace
privé et que vous allez vous retrouver dans une situation
à laquelle nul n’avait songé, qui est une situation
minoritaire.
Droits différents selon que vous serez … ?
- Christian Eyschen (LP)
: On nous dit que notre position est minoritaire. Quel
est l’instrument qui permet de mesurer une majorité
et une minorité en matière d’opinion ? Je constate deux
choses : - Le nombre d’athées ne fait qu’augmenter dans
ce pays et les croyances diminuent. Donc, nous ne sommes
pas si minoritaires que cela. - Est-ce qu’il faut poser
une problématique de droits à des citoyens, à des opinions,
sur le fait qu’ils sont majoritaires ou minoritaires
? L’opinion de la Libre Pensée est discutable, mais
en quoi devrait-elle être interdite à la télévision
sous prétexte qu’elle est minoritaire ? Où est l’égalité
des citoyens devant la loi ? Cette égalité ne se pose
pas en termes de majorité ou de minorité. Les « minoritaires
» n’auraient pas les mêmes droits en République que
les « majoritaires » ?
Sur les émissions religieuses, j’entends bien l’argument
: si la Libre Pensée parle à la télévision, cela va
provoquer débats et polémiques. Nous avons une émission
mensuelle sur France Culture et, à ce jour, la Maison
de la Radio n’a pas encore brûlé ! Le problème est :
soit tous les courants d’opinions philosophiques et
religieuses s’expriment dans les médias publics, soit
il n’y en a aucun.
Sur la question de la guerre scolaire. Est-ce que
c’est une paix que de capituler devant les exigences
financières des adversaires de l’Ecole publique
? C’est une conception, mais ce n’est pas la nôtre.
Nous considérons que tous les efforts de la Nation doivent
porter sur l’Ecole publique et sur les enfants qui y
sont scolarisés. Si des parents souhaitent avoir quelque
chose de particulier c’est à eux d’en assurer les frais.
Il est normal que les collectivités financent les transports
publics, mais si vous préférez utiliser votre voiture,
c’est à vous de la payer !
Pour terminer, je dirais que nous restons fidèles
à un principe : c’est l’Ecole qui instruit, ce sont
les familles qui éduquent.
- Joachim Salamero
(LP) : Nous savons que la conférence des
évêques de France a invité le Pape a venir en France
en 2004 pour présider le 100ème anniversaire des Semaines
sociales. La Libre Pensée ne participera à aucune campagne
du genre « Pas de Pape en France ». Il a le droit de
voyager où il veut et comme il veut mais avec ses propres
finances. Nous serons très vigilant en ce qui concerne
un éventuel financement public de ce voyage sous quelque
forme que ce soit.
Nous vous remercions de nous avoir reçus.
L'ANALYSE
DU RAPPORT
STASI
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Le lien ci-dessous conduit à l'analyse de la Fédération
nationale de la Libre Pensée sur le rapport de la Commission
Stasi sur "La laïcité dans la République".
Ce document sera publié dans La Raison de janvier.
Le texte de l'analyse peut être téléchargé et
imprimé en suivant le lien ci-après : 4
PAGE STASI.pdf
Pour
visualiser le document, vous devez
disposer du lecteur gratuit Adobe Acrobat.
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REACTION
AU DISCOURS DE JACQUES CHIRAC
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Discours de Jacques Chirac du 17 décembre 2003 :
L’apologie de la laïcité ouverte contre la
laïcité institutionnelle!
Après l’annonce faite par le Président de la République
de sa décision de demander au gouvernement de faire
voter une loi au Parlement « interdisant le
port des signes religieux ostensibles à l’Ecole », la
Fédération nationale de la Libre Pensée tient
à rappeler que, pour elle, la condition préalable à
la solution réside toujours dans l’abrogation de l’article
10 de la loi Jospin.
Cet article stipule : « Dans les collèges et les
lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme
et du principe de neutralité, de la liberté d’information
et de la liberté d’expression. » Cette abrogation rendrait
toute sa force à la circulaire de Jean Zay du 15 mai
1937 qui prohibe tout prosélytisme et signes religieux
au sein de l’Ecole publique.
La musique du discours du 17 décembre 2003 résonne
comme laïque mais les mots sont totalement à l’opposé.
En indiquant qu’il faut une loi « contre les signes
religieux ostensibles », il est évident qu’il n’y a
strictement aucun changement avec la situation que nous
connaissons aujourd’hui avec la notion « d’ostentatoire
».
La Libre Pensée rappelle que la jurisprudence administrative,
depuis la loi Jospin, a été strictement incapable de
définir le concept de l’ostentation et de dire où elle
commençait et où elle finissait. Cela a renvoyé chaque
établissement scolaire à sa propre définition.
Le Conseil d’Etat par un arrêt en date du 20 octobre
1999 stipule que « le foulard par lequel l’élève concerné
entendait exprimer ses convictions religieuses ne saurait
être regardé comme un signe présentant par sa nature
un caractère ostentatoire ou revendicatif, et dont le
port constituerait dans tous les cas un acte de pression
ou de prosélytisme ».
A l’aune de cette conception juridique, le foulard
islamique ne sera pas non plus un signe ostensible.
La loi que l’on nous propose, si elle retient ce terme
de « signes ostensibles », aboutira aux mêmes effets
pervers produits par l’article 10 de la loi Jospin.
Nous constatons que Jacques Chirac pour expliquer
son choix d’une telle loi a indiqué qu’il refuserait
la présence dans l’Ecole publique « d’une croix manifestement
de dimension excessive ». Il ne va pas être facile de
déterminer où commence et où finit une dimension excessive
!
Par ailleurs, on a pu entendre aussi des propos comme
celui-ci : « Il n’est pas question, bien sûr,
de faire de l’école un lieu d’uniformité, d’anonymat,
où seraient proscrits le fait ou l’appartenance religieuse
». On en reste donc toujours à la problématique de l’article
10 de la loi Jospin.
Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il suffit
d’entendre Jacques Chirac déclarer : « C’est pourquoi,
il me paraît aujourd’hui primordial de développer l’enseignement
du fait religieux à l’école ». L’intention présidentielle
n’est donc pas de repousser les religions hors de l’Ecole
laïque, mais bien au contraire d’y renforcer leur présence.
Pour la Libre Pensée, la menace principale contre
la laïcité réside dans le financement croissant des
écoles privées sur les fonds publics. Cette année encore,
c’est l’équivalent du budget de 200 000 postes qui ont
été détournés au profit essentiellement de l’enseignement
catholique. C’est pourquoi nous restons fidèles au mot
d’ordre laïque : »Fonds publics à l’Ecole publique ;
fonds privés à l’école privée ».
D’autre part, la laïcité est mortellement menacée
par le projet de constitution européenne qui est la
négation du principe de séparation des Eglises et de
l’Etat. C’est ce qui nous amène à dire NON à ce projet.
Nous constatons que sur ces deux questions essentielles
pour la défense de la laïcité, Jacques Chirac n’a pas
dit un mot, démontrant ainsi sa volonté de maintenir
ces atteintes graves à la laïcité.
La Libre Pensée constate une dérive inquiétante.
En proposant au ministère du Travail « d’engager les
concertations nécessaires et, si besoin, soumettre au
Parlement une disposition permettant aux chefs d’entreprises
de réglementer le port des signes religieux, pour des
impératifs tenant à la sécurité –cela va de soi- ou
aux contacts avec la clientèle », il s’agit en fait,
d’abolir le champ dans lequel s’applique la laïcité
institutionnelle, à savoir l’Ecole et le service public.
La frontière instituée en 1901 et en 1905 entre le
domaine public et le domaine privé serait ainsi totalement
effacée. S’il s’agit de règles de sécurité ou de contact
avec les clients, il y a belle lurette que ces dispositions
figurent dans les prescriptions des CHSCT et des règlements
intérieurs des entreprises. Il s’agit donc d’autre chose.
La conclusion du discours de Jacques Chirac éclaire
tout le contenu résolument antilaïque de ses propositions
quand il déclare : « Sachons transformer les interrogations
d’aujourd’hui en atouts pour demain…. En confirmant
notre attachement à une laïcité ouverte et généreuse
».
Pour la Libre Pensée et les authentiques laïques,
la laïcité ouverte est la négation cléricale de la laïcité
institutionnelle.
La Fédération nationale de la Libre Pensée ne saurait
donc souscrire en aucune manière aux propositions du
Président de la République.
Paris le 19 décembre 2003
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